Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/118

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cise, elle avait lu la loi sur les sociétés. Un instant, elle fut sur le point de mentir. Puis, avouant, riant :

— C’est vrai, j’ai lu le Code, hier. J’en suis sortie, en tâtant mon honnêteté et celle des autres, comme on sort des livres de médecine, avec toutes les maladies.

Mais lui se fâchait, car ce fait d’avoir voulu se renseigner, la lui montrait méfiante, prête à le surveiller, de ses yeux de femme, fureteurs et intelligents.

— Ah ! reprit-il avec un geste qui jetait bas les vains scrupules, si vous croyez que nous allons nous conformer aux chinoiseries du Code ! Mais nous ne pourrions faire deux pas, nous serions arrêtés par des entraves, à chaque enjambée, tandis que les autres, nos rivaux, nous devanceraient, à toutes jambes !… Non, non, je n’attendrai certainement pas que tout le capital soit souscrit ; je préfère, d’ailleurs, nous réserver des titres, et je trouverai un homme à nous auquel j’ouvrirai un compte, qui sera notre prête-nom enfin.

— C’est défendu, déclara-t-elle simplement de sa belle voix grave.

— Eh ! oui, c’est défendu, mais toutes les sociétés le font.

— Elles ont tort, puisque c’est mal. 

Saccard, se calmant par un brusque effort de volonté, crut alors devoir se tourner vers Hamelin, qui, gêné, écoutait, sans intervenir.

— Mon cher ami, j’espère que vous ne doutez pas de moi… Je suis un vieux routier de quelque expérience, vous pouvez vous remettre entre mes mains, pour le côté financier de l’affaire. Apportez-moi de bonnes idées, et je me charge de tirer d’elles tout le bénéfice désirable, en courant le moins de risques possible. Je crois qu’un homme pratique ne peut pas dire mieux. 

L’ingénieur, avec son fond invincible de timidité et de faiblesse, tourna la chose en plaisanterie, pour éviter de répondre directement.

— Oh ! vous aurez, dans Caroline, un vrai censeur. Elle est née maître d’école.