Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/127

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d’épaules, il voulut dire son indifférence ; mais l’autre ricanait, refusait de croire à ce désintéressement. Les deux hommes échangèrent une vigoureuse poignée de main.

Lorsqu’il fut seul, Saccard, instinctivement, se rapprocha de la glace, releva ses cheveux, où pas un fil blanc n’apparaissait encore. Il n’avait pourtant pas menti, les femmes ne le préoccupaient guère, depuis que les affaires le reprenaient tout entier ; et il ne cédait qu’à l’involontaire galanterie qui fait qu’un homme, en France, ne peut se trouver seul avec une femme, sans craindre de passer pour un sot, s’il ne la conquiert pas. Dès qu’il eut fait entrer la baronne, il se montra très empressé.

— Madame, je vous en prie, veuillez vous asseoir… 

Jamais il ne l’avait vue si étrangement séduisante, avec ses lèvres rouges, ses yeux brûlants, aux paupières meurtries, enfoncés sous les sourcils épais. Que pouvait-elle lui vouloir ? et il demeura surpris, presque désenchanté, lorsqu’elle lui eut expliqué le motif de sa visite.

— Mon Dieu ! monsieur, je vous demande pardon de vous déranger, inutilement pour vous ; mais, entre gens du même monde, il faut bien se rendre de ces petits services… Vous avez eu dernièrement un chef de cuisine, que mon mari est sur le point d’engager. Je viens donc tout simplement aux renseignements. 

Alors, il se laissa questionner, répondit avec la plus grande obligeance, tout en ne la quittant pas du regard ; car il croyait deviner que c’était là un prétexte : elle se moquait bien du chef de cuisine, elle venait pour autre chose, évidemment. Et, en effet, elle manœuvra, finit par nommer un ami commun, le marquis de Bohain, qui lui avait parlé de la Banque Universelle. On avait tant de peine à placer son argent, à trouver des valeurs solides ! Enfin, il comprit qu’elle prendrait volontiers des actions, avec la prime de dix pour cent abandonnée aux syndicataires ; et il comprit mieux encore que, s’il lui ouvrait un compte, elle ne payerait pas.

— J’ai ma fortune personnelle, mon mari ne s’en mêle