Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/134

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La jeune fille s’était levée la première, et l’homme, intimidé par cet accueil brusque, se mit à bégayer une explication confuse.

— J’avais donné l’ordre de renvoyer tout le monde ! Pourquoi êtes-vous là ?… Dites-moi votre nom, au moins.

— Dejoie, monsieur, et je viens avec ma fille Nathalie… 

De nouveau, il s’embrouilla, si bien que Saccard, impatienté, allait le pousser à la porte, lorsqu’il comprit enfin que c’était madame Caroline qui le connaissait depuis longtemps et qui lui avait dit d’attendre.

— Ah ! vous êtes recommandé par madame Caroline. Il fallait le dire tout de suite… Entrez et dépêchez-vous, car j’ai très faim.

Dans le cabinet, il laissa Dejoie et Nathalie debout, ne s’assit pas lui-même, pour les expédier plus vite. Maxime qui, à la sortie de la comtesse, avait quitté son fauteuil, n’eut plus la discrétion de s’écarter, dévisageant les nouveaux venus, l’air curieux. Et Dejoie, longuement, racontait son affaire.

— Voici, monsieur… J’ai fait mon congé, puis je suis entré comme garçon de bureau chez M. Durieu, le mari de madame Caroline, quand il vivait et qu’il était brasseur. Puis, je suis entré chez M. Lamberthier, le facteur à la halle. Puis, je suis entré chez M. Blaisot, un banquier que vous connaissez bien : il s’est fait sauter la cervelle, il y a deux mois, et alors je suis sans place… Il faut vous dire, avant tout, que je m’étais marié. Oui, j’avais épousé ma femme Joséphine, quand j’étais justement chez M. Durieu, et qu’elle était, elle, cuisinière, chez la belle-sœur de monsieur, madame Lévêque, que madame Caroline a bien connue. Ensuite, quand j’ai été chez M. Lamberthier, elle n’a pas pu y entrer, elle s’est placée chez un médecin de Grenelle, M. Renaudin. Ensuite, elle est allée au magasin des Trois-Frères, rue Rambuteau, où, comme par un guignon, il n’y a jamais eu de place pour moi…

— Bref, interrompit Saccard, vous venez me demander un emploi, n’est-ce pas ?