Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/187

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trouvé ce journal où il plaçait des articles, il traversait une atroce gêne, d’autant plus qu’une saisie-arrêt était mise sur ses appointements et qu’il avait à payer, ce jour-là, un nouveau billet, sous la menace de voir ses quatre meubles vendus. Déjà, deux fois, il avait demandé vainement une avance au directeur, qui s’était retranché derrière la saisie-arrêt faite entre ses mains.

Pourtant, il se décidait, s’approchait de la porte, lorsque le garçon de bureau reprit :

— C’est que monsieur Jantrou n’est pas seul.

— Ah !… Avec qui est-il ?

— Il est arrivé avec M. Saccard, et M. Saccard m’a bien dit de ne laisser entrer que monsieur Huret, qu’il attend. 

Jordan respira, soulagé par ce délai, tant les demandes d’argent lui étaient pénibles.

— C’est bon, je vais finir mon article. Avertissez-moi, quand le directeur sera libre. 

Mais, comme il s’en allait, Dejoie le retint, avec un éclat de jubilation extrême.

— Vous savez que l’Universelle a fait 750. 

D’un geste, le jeune homme dit qu’il s’en moquait bien, et il rentra dans la salle de rédaction.

Presque chaque jour, Saccard montait ainsi au journal, après la Bourse, et souvent même il donnait des rendez-vous dans la pièce qu’il s’était réservée, traitant là des affaires spéciales et mystérieuses. Jantrou du reste, bien qu’officiellement il ne fût que directeur de l’Espérance, où il écrivait des articles politiques d’une littérature universitaire soignée et fleurie, que ses adversaires eux-mêmes reconnaissaient « du plus pur atticisme », était son agent secret, l’ouvrier complaisant des besognes délicates. Et, entre autres choses, c’était lui qui venait d’organiser toute une vaste publicité autour de l’Universelle. Parmi les petites feuilles financières qui pullulaient, il en avait choisi et acheté une dizaine. Les meilleures appartenaient à de louches maisons de banque, dont la tactique, très simple, consistait à les publier et à les