Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/205

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dont il l’avait accueillie, ses menaces de ne pas leur laisser une nippe, s’il n’était pas payé à l’instant de toute la dette. Le drôle était qu’elle avait pris le régal de le mettre hors de lui, en lui contestant la légitime propriété de cette dette, ces trois cents francs de billets, montés avec les frais à sept cent trente francs quinze centimes, et qui ne lui avaient peut-être pas coûté cent sous, dans quelque lot de vieux chiffons. Il étranglait de fureur : d’abord, il les avait justement achetés très cher, ceux-là ; puis, et son temps perdu, et la fatigue des courses qu’il avait faites pendant deux ans pour retrouver le signataire, et l’intelligence qu’il lui fallait déployer dans cette chasse à l’homme, est-ce qu’il ne devait pas se rembourser, de tout ça ? Tant pis pour ceux qui se laissaient pincer ! Enfin, il avait tout de même pris les cinquante francs, parce que son système de prudence était de transiger toujours.

— Ah ! petite femme, que tu es brave et que je t’aime !  dit Jordan, qui se laissa aller à embrasser Marcelle, bien qu’à ce moment le secrétaire de la rédaction passât.

Puis, baissant la voix :

— Combien te reste-t-il à la maison ?

— Sept francs.

— Bon ! reprit-il, très heureux, nous avons de quoi aller deux jours, et je ne vais pas demander une avance, qu’on me refuserait d’ailleurs. Ça me coûte trop… Demain, j’irai voir si l’on veut me prendre un article au Figaro… Ah ! si j’avais fini mon roman, si ça se vendait un petit peu ! 

Marcelle à son tour l’embrassait.

— Oui, va, ça marchera très bien !… Tu remontes avec moi n’est-ce pas ? Ce sera gentil et nous achèterons, pour demain matin, un hareng saur, au coin de la rue de Clichy, où j’en ai vu de superbes. Ce soir, nous avons des pommes de terre au lard. 

Jordan après avoir prié un camarade de revoir ses épreuves, partit avec sa femme. D’ailleurs, Saccard et Huret s’en allaient, eux aussi. Dans la rue, un coupé s’arrêtait justement devant la porte du journal ; et ils en