Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/217

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posât entre eux. À la Chambre, des voix avaient bien protesté, des prophètes de malheur annonçaient confusément le terrible avenir, la Prusse grandie de tout ce que la France avait toléré, l’Autriche battue, l’Italie ingrate. Mais des rires, des cris de colère étouffaient ces voix inquiètes, et Paris, centre du monde, flambait par toutes ses avenues et tous ses monuments, au lendemain de Sadowa, en attendant les nuits noires et glacées, les nuits sans gaz, traversées par la mèche rouge des obus. Ce soir-là, Saccard, débordant de son succès, battit les rues, la place de la Concorde, les Champs-Élysées, tous les trottoirs où brûlaient des lampions. Emporté dans le flot montant des promeneurs, les yeux aveuglés par cette clarté de plein jour, il pouvait croire qu’on illuminait pour le fêter : n’était-il pas, lui aussi, le vainqueur inattendu, celui qui s’élevait au milieu des désastres ? Un seul ennui venait de gâter sa joie, la colère de Rougon, qui, terrible, avait chassé Huret, quand il avait compris d’où venait le coup de Bourse. Ce n’était donc pas le grand homme qui s’était montré bon frère, en lui envoyant la nouvelle ? Faudrait-il qu’il se passât de ce haut patronage, même qu’il attaquât le tout-puissant ministre ? Brusquement, en face du palais de la Légion d’honneur, que surmontait une gigantesque croix de feu, brasillant dans le ciel noir, il en prit la résolution hardie, pour le jour où il se sentirait les reins assez forts. Et, grisé par les chants de la foule et les claquements des drapeaux, il revint rue Saint-Lazare, au travers de Paris en flammes.

Deux mois après, en septembre, Saccard, que sa victoire sur Gundermann rendait audacieux, décida qu’il fallait donner un nouvel élan à l’Universelle. Dans l’assemblée générale qui avait eu lieu à la fin d’avril, le bilan présenté portait, pour l’année 1864, un bénéfice de neuf millions, en y comprenant les vingt francs de primes sur chacune des cinquante mille actions nouvelles, lors du doublement du capital. On avait amorti complètement le compte de premier établissement, servi aux actionnaires leur cinq pour cent et aux administrateurs leur dix pour