Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/270

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Hamelin tenta de l’interrompre.

— Non ! non ! je sais que vous avez de quoi les payer, avec les trois cent mille francs de votre héritage d’une part, et avec votre million de Sadowa de l’autre… Regardez ! vos deux mille premières actions vous ont coûté quatre cent trente-cinq mille francs, les mille autres vous coûteront huit cent cinquante mille francs, en tout douze cent quatre-vingt-cinq mille francs… Donc, il vous restera encore quinze mille francs pour faire le jeune homme, sans compter vos appointements de trente mille francs, que nous allons porter à soixante mille. 

Étourdis, tous deux l’écoutaient, finissaient par s’intéresser violemment à ces chiffres.

— Vous voyez bien que vous êtes honnêtes, que vous payez ce que vous prenez… Mais tout ça, c’est des bagatelles. J’en voulais venir à ceci… 

Il se releva, brandit la feuille de papier, d’un air de victoire.

— Au cours de trois mille, vos trois mille actions vous donneront neuf millions.

— Comment ! au cours de trois mille ! s’écrièrent-ils, protestant du geste contre cette obstination dans la folie.

— Eh ! sans doute ! Je vous défends bien de vendre plus tôt, je saurai vous en empêcher, oui ! par la force, par le droit qu’on a d’empêcher ses amis de faire des bêtises… Le cours de trois mille, il me le faut, je l’aurai ! 

Que répondre à ce terrible homme, dont la voix perçante, pareille à une voix de coq, sonnait le triomphe ? Ils rirent de nouveau en affectant de hausser les épaules. Et ils déclarèrent qu’ils étaient bien tranquilles, que le fameux cours ne serait jamais atteint. Lui, venait de se remettre à la table, où il faisait d’autres calculs, son compte à lui. Avait-il payé, paierait-il ses trois mille actions ? cela restait vague. Il devait même posséder un chiffre d’actions beaucoup plus fort ; mais il était difficile de le savoir ; car, lui aussi, servait de prête-nom à la société, et comment distinguer, dans le tas, les titres qui lui appartenaient ? Le crayon allongeait les lignes de