Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/272

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jardin voisin, mais une vaste pièce, éclairée sur la rue par quatre fenêtres, et dont le haut plafond, les murs majestueux, décorés de grandes peintures, ruisselaient d’or. Le fauteuil du président était un véritable trône, dominant les autres fauteuils, qui s’alignaient, superbes et graves, ainsi que pour une réunion de ministres royaux, autour de l’immense table, recouverte d’un tapis de velours rouge. Et, sur la monumentale cheminée de marbre blanc, où, l’hiver, brûlaient des arbres, était un buste du pape, une figure aimable et fine, qui semblait sourire malicieusement de se trouver là.

Saccard avait achevé de mettre la main sur tous les membres du conseil, en les achetant simplement, pour la plupart. Grâce à lui, le marquis de Bohain, compromis dans une histoire de pot-de-vin frisant l’escroquerie, pris la main au fond du sac, avait pu étouffer le scandale, en désintéressant la compagnie volée ; et il était devenu ainsi son humble créature, sans cesser de porter haut la tête, fleur de noblesse, le plus bel ornement du conseil. Huret, de même, depuis que Rougon l’avait chassé, après le vol de la dépêche annonçant la cession de la Vénétie, s’était donné tout entier à la fortune de l’Universelle, la représentant au Corps législatif, pêchant pour elle dans les eaux fangeuses de la politique, gardant la plus grosse part de ses effrontés maquignonnages, qui pouvaient, un beau matin, le jeter à Mazas. Et le vicomte de Robin-Chagot, le vice-président, touchait cent mille francs de prime secrète pour donner sans examen les signatures, pendant les longues absences d’Hamelin ; et le banquier Kolb se faisait également payer sa complaisance passive, en utilisant à l’étranger la puissance de la maison, qu’il allait jusqu’à compromettre, dans ses arbitrages ; et Sédille lui-même, le marchand de soie, ébranlé à la suite d’une liquidation terrible, s’était fait prêter une grosse somme, qu’il n’avait pu rendre. Seul, Daigremont gardait son indépendance absolue vis-à-vis de Saccard ; ce qui inquiétait ce dernier, parfois, bien que l’aimable homme restât charmant, l’invitant à ses fêtes, signant tout lui