Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/282

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tout, dans les ministères, à la cour, alimentés par des marchés rares et choisis, se suffisant de trois ou quatre nuits par an. On savait que cela coûtait horriblement cher, c’était tout ce qu’il y avait de plus distingué. Et Saccard, qu’excitait particulièrement l’envie de mordre à ce morceau d’empereur, alla jusqu’à deux cent mille francs, le mari ayant d’abord fait la moue sur cet ancien financier louche, le trouvant trop mince personnage et d’une immoralité compromettante.

Ce fut vers cette même époque que la petite madame Conin refusa carrément de prendre du plaisir avec Saccard. Il fréquentait beaucoup la papeterie de la rue Feydeau, ayant toujours des carnets à acheter, très séduit par cette adorable blonde, rose et potelée, aux cheveux de soie pâle, en neige, un petit mouton frisé, et gracieuse, et câline, toujours gaie.

— Non, je ne veux pas, jamais avec vous ! 

Quand elle avait dit jamais, c’était chose réglée, rien ne la faisait revenir sur son refus.

— Mais pourquoi ? Je vous ai bien vue avec un autre un jour que vous sortiez d’un hôtel, passage des Panoramas… 

Elle rougit, mais sans cesser de le regarder bravement en face. Cet hôtel, tenu par une vieille dame, son amie, lui servait en effet de lieu de rendez-vous, lorsqu’un caprice la faisait céder à un monsieur du monde de la Bourse, aux heures où son brave homme de mari collait ses registres et où elle battait Paris, toujours dehors pour les courses de la maison.

— Vous savez bien, Gustave Sédille, ce jeune homme, votre amant. 

D’un joli geste, elle protesta. Non, non ! elle n’avait pas d’amant. Pas un homme ne pouvait se vanter de l’avoir eue deux fois. Pour qui la prenait-il ? Une fois, oui ! par hasard, par plaisir, sans que ça tirât autrement à conséquence ! Et tous restaient ses amis, très reconnaissants, très discrets.

— C’est donc parce que je ne suis plus jeune ?