Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/30

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j’espère les amener à être gentils et à s’entendre avec nous, pour éviter un tapage désagréable… Comprenez-vous ? cherchez cette Léonie Cron, écrivez à Fayeux pour qu’il nous la déniche là-bas. Ensuite, nous verrons à rire. 

Il avait fait des papiers deux tas qu’il se promettait d’examiner à fond, quand il serait seul, et il restait immobile, les mains ouvertes, une sur chaque tas.

Après un silence, la Méchain reprit :

— Je me suis occupée des billets Jordan… J’ai bien cru que j’avais retrouvé notre homme. Il a été employé quelque part, il écrit maintenant dans les journaux. Mais on vous reçoit si mal, dans les journaux ; on refuse de vous donner les adresses. Et puis, je crois qu’il ne signe pas ses articles de son vrai nom. 

Sans une parole, Busch avait allongé le bras pour prendre, à sa place alphabétique, le dossier Jordan. C’étaient six billets de cinquante francs, datés de cinq années déjà et échelonnés de mois en mois, une somme totale de trois cents francs, que le jeune homme avait souscrite à un tailleur, aux jours de misère. Impayés à leur présentation, les billets s’étaient grossis de frais énormes, et le dossier débordait d’une formidable procédure. À cette heure, la dette atteignait sept cent trente francs quinze centimes.

— Si c’est un garçon d’avenir, murmura Busch, nous le pincerons toujours. 

Puis, une liaison d’idées se faisant sans doute en lui, il s’écria :

— Et dites donc, l’affaire Sicardot, nous l’abandonnons ?

La Méchain leva au ciel ses gros bras éplorés. Toute sa monstrueuse personne en eut un remous de désespoir.

— Ah ! Seigneur Dieu ! gémit-elle de sa voix de flûte, j’y laisserai ma peau ! 

L’affaire Sicardot était toute une histoire romanesque qu’elle aimait conter. Une petite-cousine à elle, Rosalie Chavaille, la fille tardive d’une sœur de son père avait été prise à seize ans, un soir, sur les marches de l’escalier, dans une maison de la rue de la Harpe, où elle et sa mère occupaient un petit logement au sixième. Le pis était que