Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oh ! interrompit Huret, il a toujours la confiance des Tuileries, l’empereur lui a envoyé une plaque de diamants. 

Mais, d’un geste énergique, Saccard disait qu’il n’était pas dupe.

— L’Universelle est désormais trop puissante, n’est-ce pas ? Une banque catholique, qui menace d’envahir le monde, de le conquérir par l’argent comme on le conquérait jadis par la loi, est-ce que cela peut se tolérer ? Tous les libres penseurs, tous les francs-maçons, en passe de devenir ministres, en ont froid dans les os… Peut-être aussi a-t-on quelque emprunt à tripoter avec Gundermann. Qu’est-ce qu’un gouvernement deviendrait, s’il ne se laissait pas manger par ces sales juifs ?… Et voilà mon imbécile de frère qui, pour garder le pouvoir six mois de plus, va me jeter en pâture aux sales juifs, aux libéraux, à toute la racaille, dans l’espérance qu’on le laissera un peu tranquille, pendant qu’on me dévorera… Eh bien, retournez lui dire que je me fous de lui… 

Il redressait sa petite taille, sa rage crevait enfin son ironie, en une fanfare batailleuse de clairon.

— Entendez-vous bien, je me fous de lui ! C’est ma réponse, je veux qu’il le sache. 

Huret avait plié les épaules. Dès qu’on se fâchait, dans les affaires, ce n’était plus son genre. Après tout, il n’était là-dedans qu’un commissionnaire.

— Bon, bon ! on le lui dira… Vous allez vous faire casser les reins. Mais ça vous regarde.

Il y eut un silence. Jantrou, qui était resté absolument muet, en affectant d’être tout entier à la correction d’un paquet d’épreuves, avait levé les yeux, pour admirer Saccard. Était-il beau, le bandit, dans sa passion ! Ces canailles de génie parfois triomphent, à ce degré d’inconscience, lorsque l’ivresse du succès les emporte. Et Jantrou, à ce moment, était pour lui, convaincu de sa fortune.

— Ah ! J’oubliais, reprit Huret. Il paraît que Del-