Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/354

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d’argent, après les achats considérables qu’elle a faits, et qu’elle en est réduite à escompter, à l’étranger, du papier de complaisance, pour continuer la campagne ? 

Le juif avait réprimé un tressaillement de joie. Son œil restait mort, il répondit de la même voix grondeuse.

— Ce n’est pas vrai.

— Comment ! pas vrai ? Mais j’ai entendu de mes oreilles, j’ai vu de mes yeux. 

Et elle voulut le convaincre, en lui expliquant qu’elle avait eu entre les mains les billets signés par des hommes de paille. Elle nommait ces derniers, elle disait aussi les noms des banquiers, qui, à Vienne, à Francfort, à Berlin, avaient escompté les billets. Ses correspondants pourraient le renseigner, il verrait bien qu’elle ne lui apportait pas un cancan en l’air. De même, elle affirmait que la société avait acheté pour elle, dans l’unique but de maintenir la hausse, et que deux cents millions déjà étaient engloutis.

Gundermann, qui l’écoutait de son air morne, réglait déjà sa campagne du lendemain, d’un travail d’intelligence si prompt, qu’il avait en quelques secondes réparti ses ordres, arrêté les chiffres. Maintenant, il était certain de la victoire, sachant bien de quelle ordure lui venaient les renseignements, plein de mépris pour ce Saccard jouisseur, stupide au point de s’abandonner à une femme et de se laisser vendre.

Quand elle eut fini, il leva la tête, et, la regardant de ses gros yeux éteints :

— Eh bien, qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse, tout ce que vous me racontez là ? 

Elle en resta saisie, tellement il paraissait désintéressé et calme.

— Mais il me semble que votre situation à la baisse…

— Moi ! qui vous a dit que j’étais à la baisse ? Je ne vais jamais à la Bourse, je ne spécule pas… Tout ça m’est bien égal ! 

Et sa voix était si innocente, que la baronne, ébranlée, effarée, aurait fini par le croire, sans certaines inflexions