Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/376

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d’en être, vivait en guerre avec l’Universelle et son directeur. C’était au moins une excuse sans réplique. Très frappé, Saccard venait de sentir sa faute immense, cette brouille avec ce frère qui seul pouvait le défendre, le rendre à ce point sacré, que personne n’oserait achever sa ruine, lorsqu’on saurait le grand homme derrière lui. Et ce fut, pour son orgueil, une des heures les plus dures, celle où il se décida à prier le député Huret d’intervenir en sa faveur. Du reste, il gardait une attitude de menace, refusait toujours de disparaître, exigeait comme une chose due l’aide de Rougon, qui avait plus d’intérêt que lui à éviter le scandale. Le lendemain, comme il attendait la visite promise d’Huret, il reçut simplement un billet, dans lequel, en termes vagues, on lui faisait dire de ne pas s’impatienter et de compter sur une bonne issue, si les circonstances ne s’y opposaient pas, plus tard. Il se contenta de ces quelques lignes, qu’il regarda comme une promesse de neutralité.

Mais la vérité était que Rougon venait de prendre l’énergique parti d’en finir, avec ce membre gangrené de sa famille, qui, depuis des années, le gênait, dans d’éternelles terreurs d’accidents malpropres, et qu’il préférait enfin trancher violemment. Si la catastrophe arrivait, il était résolu à laisser aller les choses. Puisqu’il n’obtiendrait jamais de Saccard son exil, le plus simple n’était-il pas de le forcer à s’expatrier lui-même, en lui facilitant la fuite, après quelque bonne condamnation ? Un brusque scandale, un coup de balai, ce serait fini. D’ailleurs, la situation du ministre devenait difficile, depuis qu’il avait déclaré au Corps législatif, dans un mouvement d’éloquence mémorable, que jamais la France ne laisserait l’Italie s’emparer de Rome. Très applaudi par les catholiques, très attaqué par le tiers état de plus en plus puissant, il voyait arriver l’heure où ce dernier, aidé des bonapartistes libéraux, allait le faire sauter du pouvoir, à moins qu’il ne leur donnât aussi un gage. Et le gage, si les circonstances le voulaient, allait être l’abandon de cette Universelle, patronnée par Rome, devenue