Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/409

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tana, déjà fiévreux, la poitrine prise. Alors, en elle, il y avait eu un brusque vide, un effondrement de toutes ses idées, de toutes ses volontés, de l’échafaudage laborieux qui, depuis tant d’années, soutenait si fièrement l’honneur du nom. Vingt-quatre heures suffirent, la maison s’était lézardée, la misère apparut, navrante, parmi les décombres. On vendit le vieux cheval, la cuisinière seule resta, fit son marché en tablier sale, deux sous de beurre et un litre de haricots secs, la comtesse fut aperçue sur le trottoir en robe crottée, ayant aux pieds des bottines qui prenaient l’eau. C’était l’indigence du soir au lendemain, le désastre emportait jusqu’à l’orgueil de cette croyante des jours d’autrefois, en lutte contre son siècle. Et elle s’était réfugiée avec sa fille, rue de la Tour-des-Dames, chez une ancienne marchande à la toilette, devenue dévote, qui sous-louait des chambres meublées à des prêtres. Là, elles habitaient toutes deux dans une grande chambre nue, d’une misère digne et triste, dont une alcôve fermée occupait le fond. Deux petits lits emplissaient l’alcôve, et lorsque les châssis, tendus du même papier que les murs, étaient clos, la chambre se transformait en salon. Cette disposition heureuse les avait un peu consolées.

Mais il n’y avait pas deux heures que la comtesse de Beauvilliers était installée, le samedi, lorsqu’une visite inattendue, extraordinaire, l’avait rejetée dans une nouvelle angoisse. Alice, heureusement, venait de descendre, pour une course. C’était Busch, avec sa face plate et sale, sa redingote graisseuse, sa cravate blanche roulée en corde, qui, averti sans doute par son flair de la minute favorable, se décidait enfin à réaliser sa vieille affaire de la reconnaissance de dix mille francs, signée par le comte à la fille Léonie Cron. D’un coup d’œil sur le logis, il avait jugé la situation de la veuve : aurait-il tardé trop longtemps ? Et, en homme capable, à l’occasion, d’urbanité et de patience, il avait longuement expliqué le cas à la comtesse effarée. C’était bien, n’est-ce pas ? l’écriture de son mari, ce qui établissait nettement l’histoire : une passion du comte pour la jeune personne, une façon de