Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/411

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mer complètement l’alcôve, dont un seul des vantaux était poussé. Alice, dans sa fièvre, venait de s’agiter sous la couverture. Pourvu qu’elle se rendormît, qu’elle ne vît pas, qu’elle n’entendît pas !

Busch, déjà, reprenait :

— Voilà ! madame, comprenez bien… Mademoiselle m’a chargé de son affaire, et je la représente, simplement. C’est pourquoi j’ai voulu qu’elle vînt en personne expliquer sa réclamation… Allons, Léonide, expliquez-vous. 

Inquiète, mal à l’aise dans ce rôle qu’il lui faisait jouer, celle-ci levait sur lui ses gros yeux troubles de chien battu. Mais l’espoir des mille francs qu’il lui avait promis, la décida. Et, de sa voix rauque, éraillée par l’alcool, tandis que lui, de nouveau, dépliait, étalait la reconnaissance du comte :

— C’est bien ça, c’est le papier que monsieur Charles m’a signé… J’étais la fille au charretier, à Cron le cocu, comme on disait, vous savez bien, madame ?… Et alors, monsieur Charles était toujours pendu à mes jupes, à me demander des saletés. Moi, ça m’ennuyait. Quand on est jeune, n’est-ce pas ? on ne sait rien, on n’est pas gentille pour les vieux… Et alors, monsieur Charles m’a signé le papier, un soir qu’il m’avait emmenée dans l’écurie… 

Debout, crucifiée, la comtesse la laissait dire, lorsqu’il lui sembla entendre une plainte dans l’alcôve. Elle eut un geste d’angoisse.

— Taisez-vous !

Mais Léonide était lancée, voulait finir.

— Ce n’est guère honnête tout de même, lorsqu’on ne veut pas payer, d’aller débaucher une petite fille sage… Oui, madame, votre monsieur Charles était un voleur. C’est ce qu’en pensent toutes les femmes à qui je raconte ça… Et je vous réponds que ça valait bien l’argent.

— Taisez-vous ! taisez-vous !  cria furieusement la comtesse, les deux bras en l’air, comme pour l’écraser, si elle continuait.