Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/431

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— Oui, une vieille histoire entre nous… Je sais d’avance que je serai condamné. 

Sans doute, elle se méfia de l’histoire, car elle n’insista pas. Un court silence régna, pendant lequel il reprit les papiers sur la table, tout entier de nouveau à son idée fixe.

— Vous êtes bien charmante, chère amie, d’être venue, et il faut me promettre de revenir, parce que vous êtes de bon conseil et que je veux vous soumettre des projets. Ah ! si j’avais de l’argent ! 

Vivement, elle l’interrompit, saisissant l’occasion pour s’éclairer sur un point qui la hantait et la tourmentait depuis des mois. Qu’avait-il fait des millions qu’il devait posséder pour sa part ? les avait-il envoyés à l’étranger, enterrés au pied de quelque arbre connu de lui seul ?

— Mais vous en avez, de l’argent ! Les deux millions de Sadowa, les neuf millions de vos trois mille actions, si vous les avez vendues au cours de trois mille !

— Moi, ma chère, cria-t-il, je n’ai pas un sou ! 

Et cela était parti d’une voix si nette et si désespérée, il la regardait d’un tel air de surprise, qu’elle fut convaincue.

— Jamais je n’ai eu un sou, dans les affaires qui ont mal tourné… Comprenez donc que je me ruine avec les autres… Certes, oui, j’ai vendu ; mais j’ai racheté aussi ; et où ils s’en sont allés, mes neuf millions, augmentés de deux autres millions encore, je serais fort embarrassé pour vous l’expliquer clairement… Je crois bien que mon compte se soldait chez ce pauvre Mazaud par une dette de trente à quarante mille francs… Plus un sou, le grand coup de balai, comme toujours ! 

Elle en fut si soulagée, si égayée, qu’elle plaisanta sur leur propre ruine, à elle et à son frère.

— Nous aussi, quand tout va être terminé, je ne sais pas si nous aurons de quoi manger un mois… Ah ! cet argent, ces neuf millions que vous nous aviez promis, vous vous rappelez comme ils me faisaient peur ! Jamais je n’ai