Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/437

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volumes entassés sur des planches. Dans l’étroit lit de fer, Sigismond, assis contre trois oreillers, vêtu jusqu’à mi-corps d’une courte blouse de flanelle rouge, parlait, parlait sans relâche, sous la singulière excitation cérébrale, qui précède parfois la mort des phtisiques. Il délirait, avec des moments d’extraordinaire lucidité ; et, au milieu de sa face amaigrie, encadrée de ses longs cheveux bouclés, ses yeux, élargis démesurément, interrogeaient le vide.

Tout de suite, quand madame Caroline parut, il sembla la reconnaître, bien que jamais ils ne se fussent rencontrés.

— Ah ! c’est vous, madame… Je vous avais vue, je vous appelais de toutes mes forces… Venez, venez plus près, que je vous dise à voix basse… 

Malgré le petit frisson de peur qui l’avait prise, elle s’approcha, elle dut s’asseoir sur une chaise, contre le lit même.

— Je ne savais pas, mais je sais maintenant. Mon frère vend des papiers, et il y a des gens que j’ai entendus pleurer là, dans son cabinet… Mon frère, ah ! j’en ai eu le cœur comme traversé d’un fer rouge. Oui, c’est ça qui m’est resté dans la poitrine, ça me brûle toujours, parce que c’est abominable, l’argent, le pauvre monde qui souffre… Alors, tout à l’heure, quand je serai mort, mon frère vendra mes papiers, et je ne veux pas, je ne veux pas ! 

Sa voix s’élevait peu à peu, suppliante.

— Tenez ! madame, ils sont là, sur la table. Donnez-les-moi, que nous en fassions un paquet, et vous les emporterez, vous emporterez tout… Oh ! je vous appelais, je vous attendais ! Mes papiers perdus ! toute ma vie de recherches et d’efforts anéantie !

Et, comme elle hésitait à lui donner ce qu’il demandait, il joignit les mains.

— De grâce, que je m’assure qu’ils y sont bien tous, avant de mourir… Mon frère n’est pas là, mon frère ne dira pas que je me tue… Je vous en supplie…