Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/439

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de patrons et d’ouvriers, de prolétaires et de bourgeois et, dès lors plus de lois restrictives ni de tribunaux, de force armée gardant l’inique accaparement des uns contre la faim enragée des autres !… Plus d’oisifs d’aucune sorte, et dès lors plus de propriétaires nourris par le loyer, de rentiers entretenus comme des filles par la chance, plus de luxe enfin ni de misère !… Ah ! n’est-ce pas l’idéale équité, la souveraine sagesse, pas de privilégiés, pas de misérables, chacun faisant son bonheur par son effort, la moyenne du bonheur humain ! 

Il s’exaltait, et sa voix devenait douce, lointaine, comme si elle s’éloignait et se perdait très haut, dans l’avenir dont il annonçait la venue.

— Et si j’entrais dans les détails… Vous voyez, cette feuille séparée, avec toutes ces notes marginales : c’est l’organisation de la famille, le contrat libre, l’éducation et l’entretien des enfants mis à la charge de la communauté… Pourtant, ce n’est point l’anarchie. Regardez cette autre note : je veux un comité directeur pour chaque branche de la production, chargé de proportionner celle-ci à la consommation, en établissant les besoins réels… Et ici, encore un détail d’organisation : dans les villes, dans les champs, des armées industrielles, des armées agricoles manœuvreront sous la conduite des chefs élus par elles, obéissant à des règlements qu’elles auront votés… Tenez ! j’ai aussi indiqué là, par des calculs approximatifs, à combien d’heures la journée de travail pourra être réduite dans vingt ans. Grâce au grand nombre des bras nouveaux, grâce surtout aux machines, on ne travaillera que quatre heures, trois peut-être ; et que de temps on aura pour jouir de la vie ! car ce n’est pas une caserne, c’est une cité de liberté et de gaieté, où chacun reste libre de son plaisir, avec tout le temps de satisfaire ses légitimes appétits, la joie d’aimer, d’être fort, d’être beau, d’être intelligent, de prendre sa part de l’inépuisable nature. 

Et son geste, autour de la misérable chambre, possédait le monde. Dans cette nudité où il avait vécu, cette