Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/445

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ficelle nouait le paquet des plans. Son frère, qui l’attendait à Rome, où tous deux allaient recommencer une existence, lui avait bien recommandé de les emballer avec soin ; et, comme elle serrait les nœuds, l’idée lui vint de Saccard, qu’elle savait en Hollande, lancé de nouveau dans une affaire colossale, le dessèchement d’immenses marais, un petit royaume conquis sur la mer, grâce à un système compliqué de canaux. Il avait raison : l’argent, jusqu’à ce jour, était le fumier dans lequel poussait l’humanité de demain ; l’argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute végétation sociale, le terreau nécessaire aux grands travaux qui facilitaient l’existence. Cette fois, voyait-elle clair enfin, son invincible espoir lui venait-il donc de sa croyance à l’utilité de l’effort ? Mon Dieu ! au-dessus de tant de boue remuée, au-dessus de tant de victimes écrasées, de toute cette abominable souffrance que coûte à l’humanité chaque pas en avant, n’y a-t-il pas un but obscur et lointain, quelque chose de supérieur, de bon, de juste, de définitif, auquel nous allons sans le savoir et qui nous gonfle le cœur de l’obstiné besoin de vivre et d’espérer ?

Et madame Caroline était gaie malgré tout avec son visage toujours jeune, sous sa couronne de cheveux blancs, comme si elle se fût rajeunie à chaque avril, dans la vieillesse de la terre. Et, au souvenir de honte que lui causait sa liaison avec Saccard, elle songeait à l’effroyable ordure dont on a également sali l’amour. Pourquoi donc faire porter à l’argent la peine des saletés et des crimes dont il est la cause ? L’amour est-il moins souillé, lui qui crée la vie ?