Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/74

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Syrie, par la petite affaire de la Société des mines d’argent du Carmel, rien que quelques millions à gagner en passant, mais un excellent lançage, car cette idée d’une mine d’argent, de l’argent trouvé dans la terre, ramassé à la pelle, était toujours passionnante pour le public, surtout quand on pouvait y accrocher l’enseigne d’un nom prodigieux et retentissant comme celui du Carmel. Il y avait aussi là-bas des mines de charbon, du charbon à fleur de roche, qui vaudrait de l’or, lorsque le pays se couvrirait d’usines ; sans compter les autres menues entreprises qui serviraient d’entractes, des créations de banques, des syndicats pour les industries florissantes, une exploitation des vastes forêts du Liban, dont les arbres géants pourrissent sur place, faute de routes. Enfin, il arrivait au gros morceau, à la Compagnie des chemins de fer d’Orient, et là, il délirait, car ce réseau de lignes ferrées, jeté d’un bout à l’autre sur l’Asie Mineure, comme un filet, c’était pour lui la spéculation, la vie de l’argent, prenant d’un coup ce vieux monde, ainsi qu’une proie nouvelle, encore intacte, d’une richesse incalculable, cachée sous l’ignorance et la crasse des siècles. Il en flairait le trésor, il hennissait comme un cheval de guerre, à l’odeur de la bataille.

Madame Caroline, d’un bon sens si solide, très réfractaire d’habitude aux imaginations trop chaudes, se laissait pourtant aller à cet enthousiasme, n’en voyait plus nettement l’outrance. À la vérité, cela caressait en elle sa tendresse pour l’Orient, son regret de cet admirable pays, où elle s’était crue heureuse ; et, sans calcul, par un contre-effet logique, c’était elle, ses descriptions colorées, ses renseignements débordants, qui fouettaient de plus en plus la fièvre de Saccard. Quand elle parlait de Beyrouth, elle avait habité trois ans, elle ne tarissait pas : Beyrout, au pied du Liban, sur sa langue de terre, entre des grèves de sable rouge et des écroulements de rochers, Beyrout avec ses maisons en amphithéâtre, au milieu de vastes jardins, un paradis délicieux planté d’orangers, de citronniers et de palmiers. Puis, c’étaient toutes les