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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/101

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M. Camy-Lamotte, personnage considérable, ayant la haute main sur le personnel, chargé des nominations, en continuel rapport avec les Tuileries. C’était un bel homme, parti comme lui substitut, mais que ses relations et sa femme avaient fait nommer député et grand officier de la Légion d’honneur. L’affaire lui était arrivée naturellement entre les mains, le procureur impérial de Rouen, inquiet de ce drame louche où un ancien magistrat se trouvait être la victime, ayant pris la précaution d’en référer au ministre, qui s’était déchargé à son tour sur son secrétaire général. Et, ici, il y avait eu une rencontre : M. Camy-Lamotte était justement un ancien condisciple du président Grandmorin, plus jeune de quelques années, resté avec lui sur un pied d’amitié si étroite, qu’il le connaissait à fond, jusque dans ses vices. Aussi parlait-il de la mort tragique de son ami avec une affliction profonde, et il n’avait entretenu M. Denizet que de son désir ardent d’atteindre le coupable. Mais il ne cachait pas que les Tuileries se désolaient de tout ce bruit disproportionné, il s’était permis de lui recommander beaucoup de tact. En somme, le juge avait compris qu’il ferait bien de ne pas se hâter, de ne rien risquer sans approbation préalable. Même il était revenu à Rouen avec la certitude que, de son côté, le secrétaire général avait lancé des agents, désireux d’instruire l’affaire, lui aussi. On voulait connaître la vérité, pour la cacher mieux, s’il était nécessaire.

Cependant, des jours se passèrent, et M. Denizet, malgré son effort de patience, s’irritait des plaisanteries de la presse. Puis, le policier reparaissait, le nez au vent, comme un bon chien. Il était emporté par le besoin de trouver la vraie piste, par la gloire d’être le premier à l’avoir flairée, quitte à l’abandonner, si on lui en donnait l’ordre. Et, tout en attendant du ministère une lettre, un conseil, un simple signe, qui tardait à venir, il s’était