Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/106

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soufflé mot ! Une arrestation faite, ou une arrestation à faire ? Ils l’accablaient de questions, mais il n’en savait pas davantage.

À ce moment, dans le couloir, un bruit de pas éveilla l’attention de Séverine.

— Voici Berthe et son mari, murmura-t-elle.

C’étaient en effet, les Lachesnaye. Ils passèrent très raides devant les Roubaud, la jeune femme n’eut pas même un regard pour son ancienne camarade. Et un huissier les introduisit tout de suite dans le cabinet du juge d’instruction.

— Ah bien ! Il faut nous armer de patience, dit Roubaud. Nous sommes là pour deux bonnes heures… Asseyez-vous donc !

Lui-même venait de se placer à gauche de Séverine, et de la main il invitait Jacques à se mettre de l’autre côté, près d’elle. Celui-ci resta debout un instant encore. Puis, comme elle le regardait de son air doux et craintif, il se laissa aller sur la banquette. Elle était très frêle entre eux, il la sentait d’une tendresse soumise ; et la tiédeur légère qui émanait de cette femme, pendant leur longue attente, l’engourdissait lentement, tout entier.

Dans le cabinet de M. Denizet, les interrogatoires allaient commencer. Déjà l’instruction avait fourni la matière d’un dossier énorme, plusieurs liasses de papiers, revêtues de chemises bleues. On s’était efforcé de suivre la victime depuis son départ de Paris. M. Vandorpe, le chef de gare, avait déposé sur le départ de l’express de six heures trente, la voiture 293 ajoutée au dernier moment, les quelques paroles échangées avec Roubaud, monté dans son compartiment un peu avant l’arrivée du président Grandmorin, enfin l’installation de celui-ci dans son coupé, où il était certainement seul. Puis, le conducteur du train, Henri Dauvergne, interrogé sur ce qui s’était passé à Rouen, pendant l’arrêt de dix minutes, n’avait pu rien affirmer. Il avait vu les