Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/115

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— Un témoin a parlé d’une dépêche que votre frère aurait reçue, l’appelant tout de suite à Doinville… Nous n’avons pas trouvé trace de cette dépêche. Lui auriez-vous écrit, vous, madame ?

Madame Bonnehon, très à l’aise, souriante, se mit à répondre sur le ton d’une amicale causerie.

— Je n’ai pas écrit à mon frère, je l’attendais, je savais qu’il devait venir, mais sans qu’une date fût fixée. D’habitude, il tombait de la sorte, et presque toujours par un train de nuit. Comme il habitait un pavillon isolé dans le parc, ouvrant sur une ruelle déserte, nous ne l’entendions même pas arriver. Il louait à Barentin une voiture, il ne se montrait que le lendemain, fort tard parfois dans la journée, ainsi qu’un voisin en visite, installé chez lui depuis longtemps… Si, cette fois-là, je l’attendais, c’était qu’il devait m’apporter une somme de dix mille francs, un règlement de compte entre nous. Il avait certainement les dix mille francs sur lui. C’est pourquoi j’ai toujours cru qu’on l’avait tué pour le voler, simplement.

Le juge laissa régner un court silence ; puis, la regardant en face :

— Qu’est-ce que vous pensez de Mme Roubaud et de son mari ?

Elle eut un vif mouvement de protestation.

— Ah ! non, mon cher monsieur Denizet, vous n’allez pas encore vous égarer sur le compte de ces braves gens… Séverine était une bonne petite fille, très douce, très docile même, et délicieuse avec ça, ce qui ne gâte rien. Je pense, puisque vous tenez à ce que je le répète, qu’elle et son mari sont incapables d’une mauvaise action.

Il l’approuvait de la tête, il triomphait, en jetant un coup d’œil vers madame de Lachesnaye. Celle-ci, piquée, se permit d’intervenir.

— Ma tante, je vous trouve bien facile.