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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/127

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son trou, de grand matin, arraché à sa forêt, exaspéré des accusations qu’il ne comprenait pas, il avait déjà, avec son effarement et sa blouse déchirée, l’air louche du prévenu, cet air de bandit sournois que la prison donne au plus honnête homme. La nuit tombait, la pièce était noire, et il se renfonçait dans l’ombre, lorsque l’huissier apporta une grosse lampe, au globe nu, dont la vive lumière lui éclaira le visage. Alors, découvert, il demeura immobile.

Tout de suite, M. Denizet avait fixé sur lui ses gros yeux clairs, aux paupières lourdes. Et il ne parlait pas, c’était l’engagement muet, l’essai premier de sa puissance, avant la guerre de sauvage, guerre de ruses, de pièges, de tortures morales. Cet homme était le coupable, tout devenait licite contre lui, il n’avait plus que le droit d’avouer son crime.

L’interrogatoire commença, très lent.

— Savez-vous de quel crime vous êtes accusé ?

Cabuche, la voix empâtée de colère impuissante, grogna :

— On ne me l’a pas dit, mais je m’en doute bien. On en a assez causé !

— Vous connaissiez monsieur Grandmorin ?

— Oui, oui, je le connaissais, trop !

— Une fille Louisette, votre maîtresse, est entrée, comme femme de chambre, chez madame Bonnehon.

Un sursaut de rage emporta le carrier. Dans la colère, il voyait rouge.

— Nom de Dieu ! ceux qui disent ça sont de sacrés menteurs. Louisette n’était pas ma maîtresse.

Curieusement, le juge l’avait regardé se fâcher. Et, faisant faire un crochet à l’interrogatoire :

— Vous êtes très violent, vous avez été condamné à cinq ans de prison pour avoir tué un homme, dans une querelle.

Cabuche baissa la tête. C’était sa honte, cette condamnation. Il murmura :