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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/149

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penché pour que l’on gardât l’affaire de l’innocent Cabuche.

— Je me rends à votre système, dit-il enfin à M. Denizet. Il y a, en effet, de fortes présomptions contre le carrier, s’il avait à exercer une vengeance légitime… Mais que tout cela est triste, mon Dieu ! et que de boue il faudrait remuer !… Je sais bien que la justice doit rester indifférente aux conséquences, et que, planant au-dessus des intérêts…

Il n’acheva pas, termina du geste, pendant que le juge, silencieux à son tour, attendait d’un air morne les ordres qu’il sentait venir. Du moment où l’on acceptait sa vérité à lui, cette création de son intelligence, il était prêt à faire aux nécessités gouvernementales le sacrifice de l’idée de justice. Mais le secrétaire, malgré son habituelle adresse en ces sortes de transactions, se hâta un peu, parla trop vite, en maître obéi.

— Enfin, on désire un non-lieu… Arrangez les choses pour que l’affaire soit classée.

— Pardon, monsieur, déclara M. Denizet, je ne suis plus le maître de l’affaire, elle dépend de ma conscience.

Tout de suite, M. Camy-Lamotte sourit, redevenant correct, avec cet air désabusé et poli qui semblait se moquer du monde.

— Sans doute. Aussi est-ce à votre conscience que je m’adresse. Je vous laisse prendre la décision qu’elle vous dictera, certain que vous pèserez équitablement le pour et le contre, en vue du triomphe des saines doctrines et de la morale publique… Vous savez, mieux que moi, qu’il est parfois héroïque d’accepter un mal, si l’on ne veut pas tomber dans un pire… Enfin, on ne fait appel en vous qu’au bon citoyen, à l’honnête homme. Personne ne songe à peser sur votre indépendance, et c’est pourquoi je répète que vous êtes le maître absolu de l’affaire, comme du reste l’a voulu la loi.

Jaloux de ce pouvoir illimité, surtout lorsqu’il était près