Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/169

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sons, et jusqu’aux pierres des chemins, dans leur fuite rapide. Comme, à la sortie du tunnel de Malaunay, il jetait à droite un coup d’œil, inquiet de l’ombre portée d’un grand arbre, barrant la voie, il reconnut le coin reculé, le champ de broussailles, d’où il avait vu le meurtre. Le pays, désert et farouche, défilait avec ses continuelles côtes, ses creux noirs de petits bois, sa désolation ravagée. Ensuite, ce fut, à la Croix-de-Maufras, sous la lune immobile, la brusque vision de la maison plantée de biais, dans son abandon et sa détresse, les volets éternellement clos, d’une mélancolie affreuse. Et, sans savoir pourquoi, cette fois encore, plus que les précédentes, Jacques eut le cœur serré, comme s’il passait devant son malheur.

Mais, tout de suite, ses yeux emportèrent une autre image. Près de la maison des Misard, contre la barrière du passage à niveau, Flore était là, debout. Maintenant, à chaque voyage, il la voyait à cette place, l’attendant, le guettant. Elle ne remua pas, elle tourna simplement la tête, pour le suivre plus longtemps, dans l’éclair qui l’emportait. Sa haute silhouette se détachait en noir sur la lumière blanche, ses cheveux d’or s’allumaient seuls, à l’or pâle de l’astre.

Et Jacques, ayant poussé la Lison pour lui faire franchir la rampe de Motteville, la laissa souffler un peu le long du plateau de Bolbec, puis la lança enfin, de Saint-Romain à Harfleur, sur la plus forte pente de la ligne, trois lieues que les machines dévorent d’un galop de bêtes folles, sentant l’écurie. Et il était brisé de fatigue, au Havre, lorsque, sous la marquise, pleine du vacarme et de la fumée de l’arrivée, Séverine, avant de remonter chez elle, accourut lui dire, de son air gai et tendre :

— Merci, à demain.