Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/171

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bien que, les journaux ne s’occupant plus de l’affaire, elle était sortie de la curiosité passionnée de la foule. On n’en causait même plus.

Ce qui avait achevé de ramener le calme chez les Roubaud, c’était l’heureuse façon dont venait de s’aplanir l’autre difficulté, celle que menaçait de soulever le testament du président Grandmorin. Sur les conseils de madame Bonnehon, les Lachesnaye avaient enfin consenti à ne pas attaquer ce testament, dans la crainte de réveiller le scandale, très incertains aussi du résultat d’un procès. Et, mis en possession de leur legs, les Roubaud se trouvaient, depuis une semaine, propriétaires de la Croix-de-Maufras, la maison et le jardin, évalués à une quarantaine de mille francs. Tout de suite, ils avaient décidé de la vendre, cette maison de débauche et de sang, qui les hantait ainsi qu’un cauchemar, où ils n’auraient point osé dormir, dans l’épouvante des spectres du passé ; et de la vendre en bloc, avec les meubles, telle qu’elle était, sans la réparer ni même en enlever la poussière. Mais, comme, à des enchères publiques, elle aurait trop perdu, les acheteurs étant rares qui consentiraient à se retirer dans cette solitude, ils avaient résolu d’attendre un amateur, ils s’étaient contentés d’accrocher à la façade un immense écriteau, aisément lisible des continuels trains qui passaient. Cet appel en grosses lettres, cette désolation à vendre, ajoutait à la tristesse des volets clos et du jardin envahi par les ronces. Roubaud ayant absolument refusé d’y aller, même en passant, prendre certaines dispositions nécessaires, Séverine s’y était rendue une après-midi ; et elle avait laissé les clefs aux Misard, en les chargeant de montrer la propriété, si des acquéreurs se présentaient. On aurait pu s’y installer en deux heures, car il y avait jusqu’à du linge dans les armoires.

Et, rien dès lors n’inquiétant plus les Roubaud, ils laissaient donc couler chaque journée dans l’attente as-