Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/202

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les coudes, venait d’arracher la frise, à l’aide d’un ciseau. Une bougie, posée près de lui, l’éclairait, en projetant son ombre énorme jusqu’au plafond. Et, à cette minute, le visage penché au-dessus du trou qui creusait le parquet d’une fente noire, il regardait, les yeux élargis. Le sang violaçait ses joues, il avait sa face d’assassin. Brutalement, il plongea la main, ne trouva rien, dans le frisson qui l’agitait, dut approcher la bougie. Au fond, apparurent le porte-monnaie, les billets, la montre.

Séverine eut un cri involontaire, et Roubaud, terrifié, se retourna. Un moment, il ne la reconnut pas, crut sans doute à un spectre, en la voyant toute blanche, avec ses regards d’épouvante.

— Qu’est-ce que tu fais donc ? demanda-t-elle.

Alors, comprenant, évitant de répondre, il ne lâcha qu’un grognement sourd. Il la regardait, gêné par sa présence, désireux de la renvoyer au lit. Mais pas une parole raisonnable ne lui venait, il la trouvait simplement à gifler, ainsi grelottante, toute nue.

— N’est-ce pas ? continua-t-elle, tu me refuses des bottines, et tu prends l’argent pour toi, parce que tu as perdu.

Cela, du coup, l’enragea. Est-ce qu’elle allait lui gâter la vie encore, se mettre en travers de son plaisir, cette femme qu’il ne désirait plus, dont la possession n’était plus qu’une secousse désagréable ? Puisqu’il s’amusait ailleurs, il n’avait aucun besoin d’elle. De nouveau, il fouilla, ne prit que le porte-monnaie, contenant les trois cents francs d’or. Et, lorsque, du talon, il eut remis la frise en place, il vint lui jeter au visage, les dents serrées :

— Tu m’embêtes, je fais ce que je veux. Est-ce que je te demande, moi, ce que tu vas faire, tout à l’heure, à Paris ?

Puis, avec un furieux haussement d’épaules, il retourna au café, en laissant la bougie par terre.