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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/212

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levait, très pâle ; et il semblait que cette lueur livide vînt de la neige elle-même. Elle tombait plus dense, ainsi qu’une chute d’aube brouillée et froide, noyant la terre des débris du ciel. Avec le jour grandissant, le vent redoublait de violence, les flocons étaient chassés comme des balles, il fallait qu’à chaque instant le chauffeur prît sa pelle, pour déblayer le charbon, au fond du tender, entre les parois du récipient d’eau. À droite et à gauche, la campagne apparaissait, à ce point méconnaissable, que les deux hommes avaient la sensation de fuir dans un rêve : les vastes champs plats, les gras pâturages clos de haies vives, les cours plantées de pommiers, n’étaient plus qu’une mer blanche, à peine renflée de courtes vagues, une immensité blême et tremblante, où tout défaillait, dans cette blancheur. Et le mécanicien, debout, la face coupée par les rafales, la main sur le volant, commençait à souffrir terriblement du froid.

Enfin, à l’arrêt de Barentin, le chef de gare, M. Bessière, s’approcha lui-même de la machine, pour prévenir Jacques qu’on signalait des quantités considérables de neige, du côté de la Croix-de-Maufras.

— Je crois qu’on peut encore passer, ajouta-t-il. Mais vous aurez de la peine.

Alors, le jeune homme s’emporta.

— Tonnerre de Dieu ! je l’ai bien dit, à Beuzeville ! Qu’est-ce que ça pouvait leur faire, de doubler l’attelage ?… Ah ! nous allons être gentils !

Le conducteur-chef venait de descendre de son fourgon, et lui aussi se fâchait. Il était gelé dans sa vigie, il déclarait qu’il était incapable de distinguer un signal d’un poteau télégraphique. Un vrai voyage à tâtons, dans tout ce blanc !

— Enfin, vous voilà prévenus, reprit M. Bessière.

Cependant, les voyageurs s’étonnaient déjà de cet arrêt prolongé, au milieu du grand silence de la station ense-