Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/237

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vont de la poitrine, pour être rentrées un soir de bal, sous une pluie glacée.

De nouveau, Jacques siffla, après que Pecqueux eut ouvert le purgeur. Les deux conducteurs étaient à leur poste. Misard, Ozil et Cabuche montèrent sur le marchepied du fourgon de tête. Et, doucement, le train sortit de la tranchée, entre les soldats armés de leurs pelles, qui s’étaient rangés à droite et à gauche, le long du talus. Puis, il s’arrêta devant la maison du garde-barrière, pour prendre les voyageurs.

Flore était là, dehors. Ozil et Cabuche la rejoignirent, se tinrent près d’elle ; tandis que Misard s’empressait maintenant, saluait les dames et les messieurs qui sortaient de chez lui, ramassait des pièces blanches. Enfin, c’était donc la délivrance ! Mais on avait trop attendu, tout ce monde grelottait de froid, de faim et d’épuisement. La dame anglaise emporta ses deux filles à moitié endormies, le jeune homme du Havre monta dans le même compartiment que la jolie femme brune, très languissante, en se mettant à la disposition du mari. Et l’on eût dit, dans le gâchis de la neige piétinée, l’embarquement d’une troupe en déroute, se bousculant, s’abandonnant, ayant perdu jusqu’à l’instinct de la propreté. Un instant, à la fenêtre de la chambre, derrière les vitres, apparut tante Phasie, que la curiosité avait jetée bas de son matelas, et qui s’était traînée, pour voir. Ses grands yeux caves de malade regardaient cette foule inconnue, ces passants du monde en marche, qu’elle ne reverrait jamais, apportés par la tempête et remportés par elle.

Mais Séverine était sortie la dernière. Elle tourna la tête, elle sourit à Jacques, qui se penchait pour la suivre jusqu’à sa voiture. Et Flore, qui les attendait, blêmit encore, à cet échange tranquille de leur tendresse. D’un mouvement brusque, elle se rapprocha d’Ozil, qu’elle