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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/28

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— Mon ami, écoute…

Mais il ne l’entendait pas, il repartait à l’autre bout de la pièce, ainsi qu’une paille battue d’un orage.

— Qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais faire ?

Enfin elle lui saisit le poignet, elle le retint une minute.

— Mon ami, voyons, puisque c’est moi qui ai refusé d’y aller… Je n’y serais jamais plus allée, jamais, jamais ! C’est toi que j’aime.

Et elle se faisait caressante, l’attirant, levant ses lèvres pour qu’il les baisât. Mais, tombé près d’elle, il la repoussa, dans un mouvement d’horreur.

— Ah ! garce, tu voudrais maintenant… Tout à l’heure, tu n’as pas voulu, tu n’avais pas envie de moi… Et, maintenant, tu voudrais, pour me reprendre, hein ? Lorsqu’on tient un homme par là, on le tient solidement… Mais ça me brûlerait, d’aller avec toi, oui ! je sens bien que ça me brûlerait le sang d’un poison.

Il frissonnait. L’idée de la posséder, cette image de leurs deux corps s’abattant sur le lit, venait de le traverser d’une flamme. Et, dans la nuit trouble de sa chair, au fond de son désir souillé qui saignait, brusquement se dressa la nécessité de la mort.

— Pour que je ne crève pas d’aller encore avec toi, vois-tu, il faut avant ça que je crève l’autre… Il faut que je le crève, que je le crève !

Sa voix montait, il répéta le mot, debout, grandi, comme si ce mot, en lui apportant une résolution, l’avait calmé. Il ne parla plus, il marcha lentement jusqu’à la table, y regarda le couteau, dont la lame, grande ouverte, luisait. D’un geste machinal, il le ferma, le mit dans sa poche. Et, les mains ballantes, les regards au loin, il restait à la même place, il songeait. Des obstacles coupaient son front de deux grandes rides. Pour trouver, il retourna