Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les cabarets de matelots, il entrait chez Philomène, la chargeait d’un mot à dire, s’asseyait, ne partait plus. Et elle, peu à peu, mêlée à cet amour, s’attendrissait, car elle n’avait connu, jusque-là, que des amants brutaux. Les petites mains, les façons polies de ce garçon si triste, qui avait l’air très doux, lui semblaient des friandises auxquelles elle n’avait pas mordu encore, Avec Pecqueux, c’était maintenant le ménage, des saouleries, plus de rudesses que de caresses ; tandis que, lorsqu’elle portait une parole gentille du mécanicien à la femme du sous-chef, elle en goûtait, pour elle-même, le goût délicat de fruit défendu. Un jour, elle lui fit ses confidences, se plaignit du chauffeur, un sournois, disait-elle, sous son air de rire, très capable d’un mauvais coup, les jours où il était ivre. Il remarqua qu’elle soignait davantage son grand corps brûlé de maigre cavale, désirable malgré tout, avec ses beaux yeux de passion, buvant moins, tenant la maison moins sale. Son frère Sauvagnat, ayant un soir entendu une voix d’homme, était entré la main haute, pour la corriger ; mais, en reconnaissant le garçon qui causait avec elle, il avait simplement offert une bouteille de cidre. Jacques, bien reçu, guéri là de son frisson, paraissait s’y plaire. Aussi Philomène montrait-elle une amitié de plus en plus vive pour Séverine, s’emportant contre madame Lebleu, qu’elle traitait partout de vieille gueuse.

Une nuit qu’elle avait rencontré les deux amants derrière son petit jardin, elle les accompagna dans l’ombre, jusqu’à la remise, où ils se cachaient d’habitude.

— Ah bien ! vous êtes trop bonne. Puisque le logement est à vous, c’est moi qui l’en tirerais par les cheveux… Tapez donc dessus !

Mais Jacques n’était pas pour un éclat.

— Non, non, M. Dabadie s’en occupe, il vaut mieux attendre que les choses se fassent régulièrement.

— Avant la fin du mois, déclara Séverine, je coucherai