Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/30

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Quand Roubaud se retourna, il avait la face épaisse et têtue, comme envahie d’ombre par cette nuit qui tombait. Il était décidé, son plan était fait. Dans le jour mourant, il regarda l’heure au coucou, il dit tout haut :

— Cinq heures vingt.

Et il s’étonnait : une heure, une heure à peine, pour tant de choses ! Il aurait cru que tous deux se dévoraient là depuis des semaines.

— Cinq heures vingt, nous avons le temps.

Séverine, qui n’osait l’interroger, le suivait toujours de ses regards anxieux. Elle le vit fureter dans l’armoire, en tirer du papier, une petite bouteille d’encre, une plume.

— Tiens ! tu vas écrire.

— À qui donc ?

— À lui… Assieds-toi.

Et, comme elle s’écartait instinctivement de la chaise, sans savoir encore ce qu’il allait exiger, il la ramena, l’assit devant la table, d’une telle pesée, qu’elle y resta.

— Écris… « Partez ce soir par l’express de six heures trente et ne vous montrez qu’à Rouen. »

Elle tenait la plume, mais sa main tremblait, sa peur s’augmentait de tout l’inconnu, que creusaient devant elle ces deux simples lignes. Aussi s’enhardit-elle jusqu’à lever la tête, suppliante.

— Mon ami, que vas-tu faire ?… Je t’en prie, explique moi…

Il répéta, de sa voix haute, inexorable :

— Écris, écris.

Puis, les yeux dans les siens, sans colère, sans gros mots, mais avec une obstination dont elle sentait le poids l’écraser, l’anéantir :

— Ce que je vais faire, tu le verras bien… Et, entends-tu, ce que je vais faire, je veux que tu le fasses avec moi…