Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/334

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temps à autre, s’arrêtait, plongeait sa tête parmi les bois éclatés, les fers tordus, fouillant ardemment des yeux, pour voir si elle n’apercevait pas le mécanicien. Brusquement, elle jeta un grand cri.

— Je le vois, il est là-dessous… Tenez ! c’est son bras, avec sa veste de laine bleue… Et il ne bouge pas, il ne souffle pas…

Elle s’était redressée, elle jura comme un homme.

— Mais, nom de Dieu ! dépêchez-vous donc, tirez-le donc de là-dessous !

Des deux mains, elle tâchait d’arracher un plancher de voiture, que d’autres débris l’empêchaient de tirer à elle. Alors, elle courut, elle revint avec la hache qui servait, chez les Misard, à fendre le bois ; et, la brandissant, ainsi qu’un bûcheron brandit sa cognée au milieu d’une forêt de chênes, elle attaqua le plancher d’une volée furieuse. On s’était écarté, on la laissait faire, en lui criant de prendre garde. Mais il n’y avait plus d’autre blessé que le mécanicien, à l’abri lui-même sous un enchevêtrement d’essieux et de roues. D’ailleurs, elle n’écoutait pas, soulevée dans un élan, sûr de lui, irrésistible. Elle abattait le bois, chacun de ses coups tranchait un obstacle. Avec ses cheveux blonds envolés, son corsage arraché qui montrait ses bras nus, elle était comme une terrible faucheuse s’ouvrant une trouée parmi cette destruction qu’elle avait faite. Un dernier coup, qui porta sur un essieu, cassa en deux le fer de la hache. Et, aidée des autres, elle écarta les roues qui avaient protégé le jeune homme d’un écrasement certain, elle fut la première à le saisir, à l’emporter entre ses bras.

— Jacques, Jacques !… Il respire, il vit. Ah ! mon Dieu, il vit… Je savais bien que je l’avais vu tomber et qu’il était là !

Séverine, éperdue, la suivait. À elles deux, elles le déposèrent au pied de la haie, près d’Henri, qui, stupéfié,