Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/336

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que des tressaillements, les révoltes dernières de la vie ; et son âme s’en allait avec la force qui la faisait vivante, cette haleine immense dont elle ne parvenait pas à se vider toute. La géante éventrée s’apaisa encore, s’endormit peu à peu d’un sommeil très doux, finit par se taire. Elle était morte. Et le tas de fer, d’acier et de cuivre, qu’elle laissait là, ce colosse broyé, avec son tronc fendu, ses membres épars, ses organes meurtris, mis au plein jour, prenait l’affreuse tristesse d’un cadavre humain, énorme, de tout un monde qui avait vécu et d’où la vie venait d’être arrachée, dans la douleur.

Alors, Jacques, ayant compris que la Lison n’était plus, referma les yeux avec le désir de mourir lui aussi, si faible d’ailleurs, qu’il croyait être emporté dans le dernier petit souffle de la machine ; et, de ses paupières closes, des larmes lentes coulaient maintenant, inondant ses joues. C’en fut trop pour Pecqueux, qui était resté là, immobile, la gorge serrée. Leur bonne amie mourait, et voilà que son mécanicien voulait la suivre. C’était donc fini, leur ménage à trois ? Finis, les voyages, où, montés sur son dos, ils faisaient des cent lieues, sans échanger une parole, s’entendant quand même si bien tous les trois, qu’ils n’avaient pas besoin de faire un signe pour se comprendre ! Ah ! la pauvre Lison, si douce dans sa force, si belle quand elle luisait au soleil ! Et Pecqueux, qui pourtant n’avait pas bu, éclata en sanglots violents, dont les hoquets secouaient son grand corps, sans qu’il pût les retenir.

Séverine et Flore, elles aussi, se désespéraient, inquiètes de ce nouvel évanouissement de Jacques. La dernière courut chez elle, revint avec de l’eau-de-vie camphrée, se mit à le frictionner, pour faire quelque chose. Mais les deux femmes, dans leur angoisse, étaient exaspérées encore par l’agonie interminable du cheval qui, seul des cinq, survivait, les deux pieds de devant emportés. Il gisait près d’elles, il avait un hennissement continu, un cri