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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/342

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naient douces et confuses, elle s’endormit, d’un sommeil noir, sans rêves.

Lorsque Flore se réveilla, la nuit s’était faite, profonde. Étourdie, elle tâta autour d’elle, se souvint tout d’un coup, en sentant le roc nu, où elle était couchée. Et ce fut, comme au choc de la foudre, la nécessité implacable : il fallait mourir. Il semblait que la douceur lâche, cette défaillance devant la vie possible encore, s’en était allée avec la fatigue. Non, non ! la mort seule était bonne. Elle ne pouvait vivre dans tout ce sang, le cœur arraché, exécrée du seul homme qu’elle avait voulu et qui était à une autre. Maintenant qu’elle en avait la force, il fallait mourir.

Flore se leva, sortit du trou de roches. Elle n’hésita pas, car elle venait de trouver d’instinct où elle devait aller. D’un nouveau regard au ciel, vers les étoiles, elle sut qu’il était près de neuf heures. Comme elle arrivait à la ligne du chemin de fer, un train passa, à grande vitesse, sur la voie descendante, ce qui parut lui faire plaisir : tout irait bien, on avait évidemment déblayé cette voie, tandis que l’autre était sans doute encore obstruée, car la circulation n’y semblait pas rétablie. Dès lors, elle suivit la haie vive, au milieu du grand silence de ce pays sauvage. Rien ne pressait, il n’y aurait plus de train avant l’express de Paris, qui ne serait là qu’à neuf heures vingt-cinq ; et elle longeait toujours la haie à petits pas, dans l’ombre épaisse, très calme, comme si elle eût fait une de ses promenades habituelles, par les sentiers déserts. Pourtant, avant d’arriver au tunnel, elle franchit la haie, elle continua d’avancer sur la voie même, de son pas de flânerie, marchant à la rencontre de l’express. Il lui fallut ruser, pour n’être pas vue du gardien, ainsi qu’elle s’y prenait d’ordinaire, chaque fois qu’elle rendait visite à Ozil, là-bas, à l’autre bout. Et dans le tunnel, elle marcha encore, toujours, toujours en avant. Mais ce n’était