Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/351

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écrase, disparues, comme balayées par le vent terrible de ces trains qui passaient !

— Morte, mon Dieu ! répéta très bas Jacques, ma pauvre tante Phasie, et Flore, et Louisette !

Au nom de cette dernière, Cabuche, qui aidait Séverine à pousser le lit, leva instinctivement les yeux sur elle, troublé par le souvenir de sa tendresse d’autrefois, dans la passion naissante dont il était envahi, sans défense, en être tendre et borné, en bon chien qui se donne dès la première caresse. Mais la jeune femme, au courant de ses tragiques amours, restait grave, le regardait avec des yeux de sympathie ; et il en fut très touché ; et, sa main ayant, sans le vouloir, effleuré la sienne, en lui passant les oreillers, il suffoqua, il répondit d’une voix bégayante à Jacques qui l’interrogeait.

— On l’accusait donc d’avoir provoqué l’accident ?

— Oh ! non, non… Seulement, c’était sa faute, vous comprenez bien.

En phrases coupées, il dit ce qu’il savait. Lui, n’avait rien vu, car il était dans la maison, quand les chevaux avaient marché, amenant le fardier en travers de la voie. C’était bien là son sourd remords, ces messieurs de la justice le lui avaient reproché durement : on ne quittait pas ses bêtes, l’effroyable malheur ne serait pas arrivé, s’il était resté avec elles. L’enquête avait donc abouti à une simple négligence de la part de Flore ; et, comme elle s’était punie elle-même, atrocement, l’affaire en demeurait là, on ne déplaçait même pas Misard, qui, de son air humble et déférent, s’était tiré d’embarras, en chargeant la morte : elle n’en faisait jamais qu’à sa tête, il devait sortir à chaque minute de son poste pour fermer la barrière. D’ailleurs, la Compagnie n’avait pu qu’établir ce matin-là, la parfaite correction de son service ; et, en attendant qu’il se remariât, elle venait de l’autoriser à prendre avec lui, pour garder la barrière, une vieille