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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/361

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— Oh ! mon chéri, si tu avais pu, que nous aurions été heureux là-bas… ! Non, non, je ne te demande plus de faire ce que tu ne peux pas faire ; seulement, je regrette tant notre rêve !… J’ai eu peur, tout à l’heure. Je ne sais pas, il me semble que quelque chose me menace. C’est un enfantillage sans doute à chaque minute, je me retourne, comme si quelqu’un était là, prêt à me frapper… Et je n’ai que toi mon chéri, pour me défendre. Toute ma joie dépend de toi, tu es maintenant ma seule raison de vivre.

Sans répondre, il la serra davantage, mettant dans cette pression ce qu’il ne disait point : son émotion, son désir sincère d’être bon pour elle, l’amour violent qu’elle n’avait pas cessé de lui inspirer. Et il avait encore voulu la tuer, ce soir-là ; car, si elle ne s’était pas tournée, pour éteindre la lampe, il l’aurait étranglée, c’était certain. Jamais il ne guérirait, les crises revenaient au hasard des faits, sans qu’il pût même en découvrir, en discuter les causes. Ainsi, pourquoi ce soir-là, lorsqu’il la retrouvait fidèle, d’une passion élargie et confiante ? Était-ce donc que plus elle l’aimait, plus il la voulait posséder, jusqu’à la détruire, dans ces ténèbres effrayantes de l’égoïsme du mâle ? L’avoir comme la terre, morte !

— Dis, mon chéri, pourquoi donc ai-je peur ? Sais-tu, toi, quelque chose qui me menace ?

— Non, non, sois tranquille, rien ne te menace.

— C’est que tout mon corps tremble, par moments. Il y a, derrière moi, un continuel danger, que je ne vois pas, mais que je sens bien… Pourquoi donc ai-je peur ?

— Non, non, n’aie pas peur… Je t’aime, je ne laisserai personne te faire du mal… Vois, comme cela est bon, d’être ainsi, l’un dans l’autre !

Il y eut un silence, délicieux.

— Ah ! mon chéri, continua-t-elle de son petit souffle de caresse, des nuits et des nuits encore, toutes pareilles