Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/366

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minutes plus tard, il était en route pour la Croix-de-Maufras, après avoir enjambé cette fenêtre, sans être vu, en ayant bien soin de repousser le volet, de façon à pouvoir rentrer par là, secrètement.

Ce fut seulement à neuf heures un quart que Jacques se retrouva devant la maison solitaire, plantée de biais au bord de la voie, dans la détresse de son abandon. La nuit était très noire, pas une lueur n’éclairait la façade hermétiquement close. Et il eut encore au cœur le choc douloureux, ce coup d’affreuse tristesse, qui était comme le pressentiment du malheur dont l’inévitable échéance l’attendait là. Ainsi que cela était convenu avec Séverine, il jeta trois petits cailloux dans le volet de la chambre rouge ; puis, il passa derrière la maison, où une porte, silencieusement, finit par s’ouvrir. L’ayant refermée derrière lui, il suivit des pas légers qui montaient l’escalier, à tâtons. Mais, en haut, à la lueur de la grosse lampe brûlant sur le coin d’une table, quand il aperçut le lit déjà défait, les vêtements de la jeune femme jetés en travers d’une chaise, et elle-même en chemise, les jambes nues, coiffée pour la nuit, avec ses cheveux épais, noués très haut, dégageant le cou, il resta immobile de surprise.

— Comment ! tu t’es couchée ?

— Sans doute, ça vaut beaucoup mieux… Une idée qui m’est venue. Tu comprends, quand il arrivera et que je descendrai lui ouvrir comme ça, il se méfiera encore moins. Je lui raconterai que j’ai été prise de migraine. Déjà Misard croit que je suis souffrante. Ça me permettra de dire que je n’ai pas quitté cette chambre, lorsque demain matin on le retrouvera, lui, en bas, sur la voie.

Mais Jacques frémissait, s’emportait.

— Non, non, habille-toi… Il faut que tu sois debout. Tu ne peux pas rester comme ça.

Elle s’était mise à sourire, étonnée.

— Pourquoi donc, mon chéri ? Ne t’inquiète pas, je t’as-