Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/375

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c’était la même loque humaine, le pantin cassé, la chiffe molle, qu’un coup de couteau fait d’une créature. Oui, c’était ça. Il avait tué, et il y avait ça par terre. Comme l’autre, elle venait de culbuter, mais sur le dos, les jambes écartées, le bras gauche replié sous le flanc, le droit tordu, à demi arraché de l’épaule. N’était-ce pas cette nuit-là que, le cœur battant à grands coups, il s’était juré d’oser à son tour, dans un prurit de meurtre qui s’exaspérait comme une concupiscence, au spectacle de l’homme égorgé ? Ah ! n’être pas lâche, se satisfaire, enfoncer le couteau ! Obscurément, cela avait germé, avait grandi en lui ; pas une heure, depuis un an, sans qu’il eût marché vers l’inévitable ; même au cou de cette femme, sous ses baisers, le sourd travail s’achevait ; et les deux meurtres s’étaient rejoints, l’un n’était-il pas la logique de l’autre ?

Un vacarme d’écroulement, une secousse du plancher tirèrent Jacques de la contemplation béante où il restait, en face de la morte. Les portes volaient-elles en éclat ? Étaient-ce des gens pour l’arrêter ? Il regarda, ne retrouva autour de lui que la solitude sourde et muette. Ah ! oui, un train encore ! Et cet homme qui allait frapper en bas, cet homme qu’il voulait tuer ! Il l’avait oublié complètement. S’il ne regrettait rien, déjà il se jugeait imbécile. Quoi ? que s’était-il passé ? La femme qu’il aimait, dont il était aimé passionnément, gisait sur le parquet, la gorge ouverte ; tandis que le mari, l’obstacle à son bonheur, vivait encore, avançait toujours, pas à pas, dans les ténèbres. Cet homme que, depuis des mois, épargnaient les scrupules de son éducation, les idées d’humanité lentement acquises et transmises, il n’avait pu l’attendre ; et, au mépris de son intérêt, il venait d’être emporté par l’hérédité de violence, par ce besoin de meurtre qui, dans les forêts premières, jetait la bête sur la bête. Est-ce qu’on tue par raisonnement ! On ne tue