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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/391

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le premier assassinat en amènerait mathématiquement un second. Dix-huit mois venaient de suffire : le ménage des Roubaud s’était gâté, le mari avait mangé les cinq mille francs au jeu, la femme en était arrivée à prendre un amant, pour se distraire. Sans doute elle refusait de vendre la Croix-de-Maufras, de crainte qu’il n’en dissipât l’argent ; peut-être, dans leurs continuelles disputes, menaçait-elle de le livrer à la justice. En tout cas, de nombreux témoignages établissaient l’absolue désunion des deux époux ; et là, enfin, la conséquence lointaine du premier crime s’était produite : Cabuche reparaissait avec ses appétits de brute, le mari dans l’ombre lui remettait le couteau au poing, pour s’assurer définitivement la propriété de cette maison maudite, qui avait déjà coûté une vie humaine. Telle était la vérité, l’aveuglante vérité, tout y aboutissait : la montre trouvée chez le carrier, surtout les deux cadavres, frappés du même coup à la gorge, par la même main, avec la même arme, ce couteau ramassé dans la chambre. Pourtant, sur ce dernier point, l’accusation émettait un doute, la blessure du président paraissant avoir été faite par une lame plus petite et plus tranchante.

Roubaud, d’abord, répondit par oui et par non, de l’air somnolent et alourdi qu’il avait maintenant. Il ne semblait pas étonné de son arrestation, tout lui était devenu égal, dans la lente désorganisation de son être. Pour le faire causer, on lui avait donné un gardien à demeure avec lequel il jouait aux cartes du matin au soir ; et il était parfaitement heureux. D’ailleurs, il restait convaincu de la culpabilité de Cabuche : lui seul pouvait être l’assassin. Interrogé sur Jacques, il avait haussé les épaules en riant, montrant ainsi qu’il connaissait les rapports du mécanicien et de Séverine. Mais, lorsque M. Denizet, après l’avoir tâté, finit par développer son système, le poussant, le foudroyant de sa complicité, s’efforçant de lui arracher un