Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

contait l’histoire, sa femme souillée toute jeune par Grandmorin, sa rage de jalousie en apprenant ces ordures, et comment il avait tué, et pourquoi il avait pris les dix mille francs, les paupières du juge se relevaient, dans un froncement de doute, tandis qu’une incrédulité irrésistible, l’incrédulité professionnelle, distendait sa bouche, en une moue goguenarde. Il souriait tout à fait, lorsque l’accusé se tut. Le gaillard était encore plus fort qu’il ne pensait : prendre le premier meurtre pour lui, en faire un crime purement passionnel, se laver ainsi de toute préméditation de vol, surtout de toute complicité dans l’assassinat de Séverine, c’était certes une manœuvre hardie, qui indiquait une intelligence, une volonté peu communes. Seulement, cela ne tenait pas debout.

— Voyons, Roubaud, il ne faut pas nous croire des enfants… Vous prétendez alors que vous étiez jaloux, ce serait dans un transport de jalousie que vous auriez tué ?

— Certainement.

— Et si nous admettons ce que vous racontez, vous auriez épousé votre femme, en ne sachant rien de ses rapports avec le président… Est-ce vraisemblable ? Tout au contraire prouverait, dans votre cas, la spéculation offerte, discutée, acceptée. On vous donne une jeune fille élevée comme une demoiselle, on la dote, son protecteur devient le vôtre, vous n’ignorez pas qu’il lui laisse une maison de campagne par testament, et vous prétendez que vous ne vous doutiez de rien, absolument de rien ! Allons donc, vous saviez tout, autrement votre mariage ne s’explique plus… D’ailleurs la constatation d’un simple fait suffit à vous confondre. Vous n’êtes pas jaloux, osez dire encore que vous êtes jaloux.

— Je dis la vérité, j’ai tué dans une rage de jalousie.

— Alors, après avoir tué le président pour des rapports anciens, vagues, et que vous inventez du reste, expliquez-moi comment vous avez pu tolérer un amant à votre