Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/50

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Un nouveau son de trompe se fit entendre, et, cette fois, Flore, qui venait d’ôter le couvert, ne reparut pas. Elle laissait sa mère et les deux hommes attablés devant une bouteille d’eau-de-vie de cidre. Tous trois restèrent là une demi-heure encore. Puis, Misard, qui, depuis un instant, avait arrêté ses yeux fureteurs sur un angle de la pièce, prit sa casquette et sortit, avec un simple bonsoir. Il braconnait dans les petits ruisseaux voisins, où il y avait des anguilles superbes, et jamais il ne se couchait, sans être allé visiter ses lignes de fond.

Dès qu’il ne fut plus là, Phasie regarda fixement son filleul.

— Hein, crois-tu ? l’as-tu vu fouiller du regard là-bas, dans ce coin ?… C’est que l’idée lui est venue que je pouvais avoir caché mon magot derrière le pot à beurre… Ah ! je le connais, je suis sûre que, cette nuit, il ira déranger le pot, pour voir.

Mais des sueurs la prenaient, un tremblement agitait ses membres.

— Regarde, ça y est encore, va ! Il m’aura droguée, j’ai la bouche amère comme si j’avais avalé des vieux sous. Dieu sait pourtant si j’ai rien pris de sa main ! C’est à se ficher à l’eau… Ce soir, je n’en peux plus, vaut mieux que je me couche. Alors, adieu, mon garçon, parce que, si tu pars à sept heures vingt-six, ce sera de trop bonne heure pour moi. Et reviens, n’est-ce pas ? et espérons que j’y serai toujours.

Il dut l’aider à rentrer dans la chambre, où elle se coucha et s’endormit, accablée. Resté seul, il hésita, se demandant s’il ne devait pas monter s’étendre, lui aussi, sur le foin qui l’attendait au grenier. Mais il n’était que huit heures moins dix, il avait le temps de dormir. Et il sortit à son tour, laissant brûler la petite lampe à pétrole, dans la maison vide et ensommeillée, ébranlée de temps à autre par le tonnerre brusque d’un train.