Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/76

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trouva l’équipe qui commençait à former l’express de six heures quarante ; et il crut que les hommes mettaient le 293 sur le chariot, tout l’apaisement de la fraîche matinée s’en alla dans un éclat subit de colère.

— Nom de Dieu ! pas cette voiture-là ! Laissez-la donc tranquille ! Elle ne part que ce soir.

Le chef de l’équipe lui expliquait qu’on poussait simplement la voiture, pour en prendre une autre, qui était derrière. Mais il n’entendait pas, assourdi par son emportement, hors de toute proportion.

— Bougres de maladroits, quand on vous dit de ne pas y toucher !

Lorsqu’il eut compris enfin, il resta furieux, tomba sur les incommodités de la gare, où l’on ne pouvait seulement retourner un wagon. En effet, la gare, bâtie une des premières de la ligne, était insuffisante, indigne du Havre, avec sa remise en vieille charpente, sa marquise de bois et de zinc, au vitrage étroit, ses bâtiments nus et tristes, lézardés de toutes parts.

— C’est une honte, je ne sais pas comment la Compagnie n’a pas encore flanqué ça par terre.

Les hommes de l’équipe le regardaient, surpris de l’entendre parler librement, lui d’une discipline si correcte d’habitude. Il s’en aperçut, s’arrêta tout d’un coup. Et, silencieux, raidi, il continua de surveiller la manœuvre. Un pli de mécontentement coupait son front bas, tandis que sa face ronde et colorée, hérissée de barbe rousse, prenait une tension profonde de volonté.

Dès lors, Roubaud eut tout son sang-froid. Il s’occupa activement de l’express, contrôla chaque détail. Des attelages lui ayant paru mal faits, il exigea qu’on les serrât sous ses yeux. Une mère et ses deux filles, que fréquentait sa femme, voulurent qu’il les installât dans le compartiment des dames seules. Puis, avant de siffler pour donner le signal du départ, il s’assura encore de la bonne