Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/82

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coup intéressée, lorsqu’elle entendit le chauffeur demander des nouvelles de l’affaire du sous-préfet.

— C’est arrangé, vous êtes content, n’est-ce pas ? monsieur Roubaud ?

— Très content.

Pecqueux cligna les yeux d’un air malin.

— Oh ! vous n’aviez pas à être inquiet, parce que, lorsqu’on a un gros bonnet dans sa manche… Hein ? vous savez qui je veux dire. Ma femme aussi lui a bien de la reconnaissance.

Le sous-chef interrompit cette allusion au président Grandmorin, en répétant d’une voix brusque :

— Et alors vous ne partez que ce soir ?

— Oui, la Lison va être réparée, on finit d’ajuster la bielle… Et j’attends mon mécanicien, qui s’est donné de l’air, lui. Vous le connaissez, Jacques Lantier ? Il est de votre pays.

Un instant, Roubaud resta sans répondre, absent, l’esprit perdu. Puis, avec un sursaut de réveil :

— Hein ? Jacques Lantier, le mécanicien… Certainement, je le connais. Oh ! vous savez, bonjour, bonsoir. C’est ici que nous nous sommes rencontrés, car il est mon cadet, et je ne l’avais jamais vu, là-bas, à Plassans… L’automne dernier, il a rendu un petit service à ma femme, une commission qu’il a faite pour elle, chez des cousines, à Dieppe… Un garçon capable, à ce qu’on dit.

Il parlait au hasard, d’abondance. Soudain, il s’éloigna.

— Au revoir, Pecqueux… J’ai à donner un coup d’œil de ce côté.

Alors seulement Philomène s’en alla, de son pas allongé de cavale ; tandis que Pecqueux, immobile, les mains dans les poches, riant d’aise à la fainéantise de cette gaie matinée, s’étonnait que le sous-chef, après s’être contenté de faire le tour du hangar, s’en retournait rapidement. Ce n’était pas long à donner, son coup d’œil.