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LES ROUGON-MACQUART.

du vestibule, à s’examiner. Mouret avait prestement enjambé les marches du perron. Rose s’était plantée sur le seuil de sa cuisine.

— Vous devez être bien heureuse ? reprit Marthe, en s’adressant à madame Faujas.

Puis, ayant conscience de l’embarras qui tenait tout le monde muet, voulant se montrer aimable pour les nouveaux venus, elle se tourna vers Trouche, en ajoutant :

— Vous êtes arrivés par le train de cinq heures, n’est-ce pas ?… Et combien y a-t-il de Besançon ici ?

— Dix-sept heures de chemin de fer, répondit Trouche, en montrant sa bouche vide de dents. En troisième, je vous réponds que c’est raide… On a le ventre rudement secoué.

Il se mit à rire, avec un singulier bruit de mâchoires. Madame Faujas lui jeta un coup d’œil terrible. Alors, machinalement, il essaya de remettre un bouton crevé de sa redingote graisseuse, ramenant sur ses cuisses, sans doute pour cacher des taches, deux cartons à chapeau qu’il portait, l’un vert, l’autre jaune. Son cou rougeâtre avait un gloussement continu, sous un lambeau de cravate noire tordue, ne laissant passer qu’un bout de chemise sale. Sa face, toute couturée, suant le vice, était comme allumée par deux petits yeux noirs, qui roulaient sans cesse sur les gens, sur les choses, d’un air de convoitise et d’effarement ; des yeux de voleur étudiant la maison où il reviendra, la nuit, faire un coup.

Mouret crut que Trouche regardait les serrures.

— C’est qu’il a des yeux à prendre des empreintes, ce gaillard-là, pensa-t-il.

Cependant, Olympe comprit que son mari venait de dire une bêtise. C’était une grande femme mince, blonde, fanée, à la figure plate et ingrate. Elle portait une petite caisse de bois blanc et un gros paquet noué dans une nappe.