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LES ROUGON-MACQUART.

quitter cette maison, dont elle connaissait déjà les moindres coins. Elle eut un imperceptible haussement d’épaules, les yeux vagues, allant de la cuisine au jardin et du jardin à la salle à manger.

Mouret, cependant, s’impatientait. Voyant que ni la mère ni le fils ne paraissaient décidés à quitter la place, il reprit :

— C’est que nous n’avons pas de lits, malheureusement… Il y a bien, au grenier, un lit de sangle, dont madame, à la rigueur, pourrait s’accommoder jusqu’à demain ; seulement, je ne vois pas trop sur quoi coucherait monsieur l’abbé.

Alors madame Faujas ouvrit enfin les lèvres ; elle dit d’une voix brève, au timbre un peu rauque :

— Mon fils prendra le lit de sangle… Moi, je n’ai besoin que d’un matelas par terre, dans un coin.

L’abbé approuva cet arrangement d’un signe de tête. Mouret allait se récrier, chercher autre chose ; mais, devant l’air satisfait de ses nouveaux locataires, il se tut, se contentant d’échanger avec sa femme un regard d’étonnement.

— Demain il fera jour, dit-il avec sa pointe de moquerie bourgeoise ; vous pourrez vous meubler comme vous l’entendrez. Rose va monter enlever les fruits et faire les lits. Si vous voulez attendre un instant sur la terrasse… Allons, donnez deux chaises, mes enfants.

Les enfants, depuis l’arrivée du prêtre et de sa mère, étaient demeurés tranquillement assis devant la table. Ils les examinaient curieusement. L’abbé n’avait pas semblé les apercevoir ; mais madame Faujas s’était arrêtée un instant à chacun d’eux, les dévisageant, comme pour pénétrer d’un coup dans ces jeunes têtes. En entendant les paroles de leur père, ils s’empressèrent tous trois et sortirent des chaises.

La vieille dame ne s’assit pas. Comme Mouret se tournait, ne l’apercevant plus, il la vit plantée devant une des fenêtres entrebâillées du salon ; elle allongeait le cou, elle achevait