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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

À partir de ce moment, avec la meilleure foi du monde et sans songer à mal, il fit de ses enfants des espions qu’il attacha aux talons de l’abbé. Octave et Serge durent lui répéter tout ce qui se disait dans la ville, ils reçurent aussi l’ordre de suivre le prêtre, quand ils le rencontreraient. Mais cette source de renseignements fut vite tarie. La sourde rumeur occasionnée par la venue d’un vicaire étranger au diocèse s’était apaisée. La ville semblait avoir fait grâce « au pauvre homme », à cette soutane râpée qui se glissait dans l’ombre de ses ruelles ; elle ne gardait pour lui qu’un grand dédain. D’autre part, le prêtre se rendait directement à la cathédrale, et en revenait, en passant toujours par les mêmes rues. Octave disait en riant qu’il comptait les pavés.

À la maison, Mouret voulut utiliser Désirée, qui ne sortait jamais. Il l’emmenait, le soir, au fond du jardin, l’écoutant bavarder sur ce qu’elle avait fait, sur ce qu’elle avait vu, dans la journée ; il tâchait de la mettre sur le chapitre des gens du second.

— Écoute, lui dit-il un jour, demain, quand la fenêtre sera ouverte, tu jetteras ta balle dans la chambre, et tu monteras la demander.

Le lendemain, elle jeta sa balle ; mais elle n’était pas au perron que la balle, renvoyée par une main invisible, vint rebondir sur la terrasse. Son père, qui avait compté sur la gentillesse de l’enfant pour renouer des relations rompues dès le premier jour, désespéra alors de la partie ; il se heurtait évidemment à une volonté bien nette prise par l’abbé de se tenir barricadé chez lui. Cette lutte ne faisait que rendre sa curiosité plus ardente. Il en vint à commérer dans les coins avec la cuisinière, au vif déplaisir de Marthe, qui lui fit des reproches sur son peu de dignité ; mais il s’emporta, il mentit. Comme il se sentait dans son tort, il ne causa plus des Faujas avec Rose qu’en cachette.