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LES ROUGON-MACQUART.

— Écoutez, Ovide, murmura-t-elle, je vous aime, et vous le savez, n’est-ce pas ? Je vous ai aimé, Ovide, le jour où vous êtes entré ici… Je ne vous le disais pas. Je voyais que cela vous déplaisait. Mais je sentais bien que vous deviniez mon cœur. J’étais satisfaite, j’espérais que nous pourrions être heureux un jour, dans une union toute divine… Alors, c’est pour vous que j’ai vidé la maison. Je me suis traînée sur les genoux, j’ai été votre servante… Vous ne pouvez pourtant pas être cruel jusqu’au bout. Vous avez consenti à tout, vous m’avez permis d’être à vous seul, d’écarter les obstacles qui nous séparaient. Souvenez-vous, je vous en supplie. Maintenant que me voilà malade, abandonnée, le cœur meurtri, la tête vide, il est impossible que vous me repoussiez… Nous n’avons rien dit tout haut, c’est vrai. Mais mon amour parlait et votre silence répondait. C’est à l’homme que je m’adresse, ce n’est pas au prêtre. Vous m’avez dit qu’il n’y avait qu’un homme ici. L’homme m’entendra… Je vous aime, Ovide, je vous aime, et j’en meurs.

Elle sanglotait. L’abbé Faujas avait redressé sa haute taille. Il s’approcha de Marthe, laissa tomber sur elle son mépris de la femme.

— Ah ! misérable chair ! dit-il. Je comptais que vous seriez raisonnable, que jamais vous n’en viendriez à cette honte de dire tout haut ces ordures… Oui, c’est l’éternelle lutte du mal contre les volontés fortes. Vous êtes la tentation d’en bas, la lâcheté, la chute finale. Le prêtre n’a pas d’autre adversaire que vous, et l’on devrait vous chasser des églises, comme impures et maudites.

— Je vous aime, Ovide, balbutia-t-elle encore ; je vous aime, secourez-moi.

— Je vous ai déjà trop approchée, continua-t-il. Si j’échoue, ce sera vous, femme, qui m’aurez ôté de ma force par votre seul désir. Retirez-vous, allez-vous-en, vous êtes