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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/385

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Attends-moi, ne descends pas par la fenêtre, criait-elle, en frappant à la porte.

Elle dut l’enfoncer ; la porte, qui brûlait, céda facilement. Elle reparut, tenant son fils entre les bras. Il avait pris le temps de mettre sa soutane ; il étouffait, suffoqué par la fumée.

— Écoute, Ovide, je vais t’emporter, dit-elle avec une rudesse énergique. Tiens-toi bien à mes épaules ; cramponne-toi à mes cheveux, si tu te sens glisser… Va, j’irai jusqu’au bout.

Elle le chargea sur ses épaules comme un enfant, et cette mère sublime, cette vieille paysanne, dévouée jusqu’à la mort, ne chancela point sous le poids écrasant de ce grand corps évanoui qui s’abandonnait. Elle éteignait les charbons sous ses pieds nus, s’ouvrait un passage en repoussant les flammes de sa main ouverte, pour que son fils n’en fût pas même effleuré. Mais, au moment où elle allait descendre, le fou, qu’elle n’avait pas vu, sauta sur l’abbé Faujas, qu’il lui arracha des épaules. Sa plainte lugubre s’achevait dans un hurlement tandis qu’une crise le tordait au bord de l’escalier. Il meurtrissait le prêtre, l’égratignait, l’étranglait.

— Marthe ! Marthe ! cria-t-il.

Et il roula avec le corps le long des marches embrasées ; pendant que madame Faujas, qui lui avait enfoncé les dents en pleine gorge, buvait son sang. Les Trouche flambaient dans leur ivresse, sans un soupir. La maison, dévastée et minée, s’abattait au milieu d’une poussière d’étincelles.